Sunday, January 20, 2013

Kentucky Route Zero

 
Kentucky Route Zero est exactement le genre d'objet auquel je pense quand je parle du potentiel créatif infini du design de jeux informatiques. Pas qu'il réponde à des critères précis permettant de lui coller une étiquette bien commode, du tout ; c'est un jeu qui fait sa propre affaire et parle de ce que bon lui semble, fièrement et dans le style qui lui sied. Il s'agit d'un jeu "indépendant" au sens le plus propre du terme, comme il s'en trouve de plus en plus au fil des ans, et à l'égard desquels il semble y avoir de plus en plus de sympathie.
 
La grande poésie de l'écriture était la qualité la plus constante des précédentes sorties de Jake Elliott, mais Kentucky Route Zero consolide avec force la beauté plastique dont Ruins et Balloon Diaspora avaient montré les balbutiements. Pour leur première parution payante, l'homme et son partenaire Tamas Kemenczy ont mis les bouchées doubles en peignant une campagne américaine rêveuse, désolée, où le creux de la nuit donne lieu aux rencontres les plus étranges. La combinaison des graphismes 3D et de la navigation largement latérale donne lieu à des élans à couper le souffle, dont l'emploi des travellings avant sur la ferme est un exemple saisissant. Chaque scène est donc illustrée avec une inspiration peu commune, mais laisse surtout entrevoir un imaginaire riche, qui ne fera sans doute que s'épaissir au fil des cinq épisodes prévus.
 
Par-delà le visuel, le penchant introspectif et le parti pris minimaliste d'Elliott sont aussi renforcés. Par sa simplicité, son humanité, ainsi que par la malléabilité partielle de son caractère, le protagoniste Conway emporte la sympathie, donnant envie de partager sa quête. L'interaction est encore une fois d'un dépouillement remarquable, aucune manipulation ou énigme inutilement complexe n'imposant de halte à la progression fluide. Et la douce fantaisie qui teintait les précédents univers de l'auteur trouve ici un ancrage particulièrement terrestre, les personnages évoquant fréquemment les effets de la récession sur leur économie précaire. La vision du monde est cohérente, empathique, aussi respectueuse du sort de ses personnages que du temps du joueur y consacrant une petite heure.
 
Il est trop tôt pour parler de classique, mais ce premier acte de Kentucky Route Zero est le premier légitime essentiel de 2013. Espérons que ses multiples nominations aux prix du Independent Games Festival - qui devraient lui ouvrir les portes de Steam - lui permettront d'obtenir la visibilité qu'il mérite.

2 comments:

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  2. Il a été choisi parmi la prochaine batch de Steam Greenlight, donc oui, ça s'en viens.

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